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Jean Rondeau

Portrait du musicien par Sassoun Arapian

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Au début, il y a eu un son. Pas un instrument, ni même un meuble ; pas de touches, de cordes, de mécanique, de tradition, de répertoire, pas même un morceau de musique ; seulement un son, fragile et scintillant, sortant d’une radio. Présage ou appel, étincelle ou graine, il tombe dans l’oreille d’un enfant de cinq ans souvent silencieux qui aime instantanément ce qu’il perçoit : le son du clavecin.

Pour répondre à cet appel, il y aura un professeur : Blandine Verlet. « C’était un enseignement très organique, très à l’écoute, répondant humainement à ce qui est en train de se passer sur le moment, en ne forçant rien. Enseignement très fluide, dans la souplesse, dans l’écoute, l’attention, la vigilance... dans la bienveillance. »

On entrevoit que l’enfance peut être moins un âge qu’un état, moins un paradis perdu qu’une forme d’attention au monde aiguisée, tapie en nous sous les couches de savoir, prête à resurgir. Contraire d’un larmoiement, la nostalgie se fait guide.

« Toute sa vie, on s’efforce peut-être de retoucher, de regoûter à la sensibilité qu’on a pu connaître étant enfant. Je trouve que quand je joue du clavecin ou quand j’en entends, il y a peut-être quelque chose qui replonge un peu dans l’enfance – forcément puisque j’ai commencé assez jeune, mais aussi rien que par le son il y a quelque chose de fragile qui me plaît beaucoup […] J’ai pas envie d’attendre la fin de ma vie pour être fragile. Ça ne m’intéresse pas du tout d’être fort. » 

– Vous n’êtes pas un gros bosseur ?
– Ah si… ah si si… je crois que vraiment je peux m’octroyer le fait que je suis un gros bosseur.

Baccalauréat en poche, le jeune parisien entre au CNSM, « par défaut », en commençant, dans le doute, des études de philosophie et de psychologie. Le temps des études sera aussi le temps des concours.

« À ce moment-là, je n’avais pas de concerts, donc préparer un concours c’était préparer un concert. J’ai passé un concours à Prague et un à Bruges ; j’ai joué à Prague et à Bruges pour des gens. En fait il n’y a pas vraiment de différence. On joue pour des gens. Même les jurys sont des gens, le jury est public. »

1er prix du Concours International de Clavecin de Bruges, Prix « EUBO Development Trust », 2e prix et Prix de la meilleure interprétation de la pièce contemporaine écrite pour le Concours International de Clavecin du Printemps de Prague, Prix Jeune Soliste des Radios Francophones Publiques, « Révélation Soliste Instrumental » aux Victoires de La Musique Classique.

Entre 2012 et 2015 s’ouvrent les portes des salles de concerts et des studios d’enregistrement. Le clavecin n’est plus seulement un son pur, entendu à la radio par un enfant éveillé. Il est dorénavant aussi un instrument, un répertoire, une histoire, une charge symbolique, et même un métier. « Petit Jean est devenu grand » s’amuse le musicien, invité sur un plateau de télévision. A la sensibilité enfantine, s’est greffée une pensée vivante et agile qui intègre les matières les plus diverses. Dans les livrets de ses disques, rédigés par ses soins, ou dans les entretiens qu’il accorde, s’égrènent les références plus ou moins explicites à une littérature variée embrassant les sciences et les humanités. Le musicien réfléchit, questionne, aussi bien le texte musical que le métier de musicien. Rien n’est à l’abri du doute fertile qui l’anime.

Le « mystère musical », sujet continu d’émerveillement et de joie, conduit à la découverte et encourage la curiosité. Si la pensée de Jean Rondeau cherche moins à conclure pour se rassurer qu’à se déployer pour poursuivre l’aventure, c’est peut-être qu’il a eu la « chance de fréquenter ce mystère bien avant l’âge des premiers doutes. » « La musique, il n’y a aucune gloire à tirer de ça. La musique est juste en train de te dire que tu ne sais rien, constamment : plus tu creuses, plus tu as de questions qui arrivent. » 9 10 Ainsi la rationalité la plus tranchante peut-elle cohabiter avec la sensibilité la plus vive, et nourrir le geste musical.

« J’aime beaucoup le concert […] Je prends ça plutôt comme un rituel assez spirituel. Les gens arrivent, ils sont dans le silence, ils ont mis des choses de côté. Ils ont éteint leur téléphone. Il y a quelque chose de très beau aussi avec tous ces codes du concert. On est concentré sur un truc, on est tous dans un même bateau autour d’une œuvre qui n’appartient à personne. Si on est bien positionné, ce rite, je le trouve hyper noble, il est très très beau, il y a quelque chose de très fort, de très digne, de très doux, de très simple. Avec tous ces codes, ça peut être très simple. »

« Faire de la musique, écouter de la musique, c’est toujours un apprentissage. Ça nous fait grandir, ça nous éduque. Ça nous fait grandir spirituellement. Si je peux trouver un sens à mon métier, ça va être celui-là. »

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