Programme
- Maurice Ravel, Concerto pour piano en Sol Majeur
- Thomas Enhco, Sept visions pour piano et orchestre
- Serge Prokofiev, Symphonie n°1 en Ré Majeur, op 25 « Classique »
- Arturo Marquez, Danzon n°2
Sept visions pour piano et orchestre
À la fin de l'année 2020, j'écrivais une pièce pour piano et quintette à vent, qui devait être créée en France. Mais pour la première fois de ma vie, j'avais un blocage, je n'arrivais pas à composer. J'ai décidé d'analyser cette difficulté, qu'elle devienne mon sujet d'étude. C'était l'année de la pandémie de Covid-19, cette maladie mystérieuse qui endeuillait le monde, nous-autres musiciens n'avions plus le droit faire de concerts, chaque projet initié tombait à l'eau, c'était une année de grande solitude et de perte de sens à cause des confinements successifs, de perte de confiance dans les institutions, de vacillement des certitudes et d'essor des théories du complot, qui nous éloignaient encore plus les uns des autres… Le meurtre de George Floyd dans les États-Unis de Trump m'avait profondément choqué, et j'ai réfléchi à la notion de respiration, qui connectait tous ces sujets.
C'est comme cela que le thème principal m'est venu, une mélodie lyrique et sinueuse exposée au début de la pièce par le hautbois et reprise tout du long par les autres vents. L'inspiration est revenue au galop et j'ai composé sept tableaux différents, visions fugaces liées aux sentiments qui m'avaient habités toute cette année : solitude/calme/introspection, espoir/printemps, anxiété/étrangeté, deuil/recueillement, frénésie/vie/mouvement, apaisement/acceptation, colère/rébellion.
Quatre ans plus tard, la cheffe d'orchestre Alondra de la Parra, à qui le thème principal plaisait beaucoup, m'a encouragé à en faire une version pour piano et orchestre symphonique, comme une rhapsodie basée sur les thème du sextuor original. J'ai donc réécrit et orchestré entièrement la pièce, en laissant la part belle aux vents, et nous avons créé ensemble cette toute nouvelle version en février 2025 avec le Duisburger Philharmoniker en Allemagne. En voici une petite description :
Première vision : le thème principal est exposé au hautbois, puis par la clarinette auquel l'orchestre répond deux fois par un contrepoint interrogatif.
Deuxième vision : le piano introduit un paysage lumineux, comme un matin de printemps dans lequel les bois font figure d'oiseaux qui se réveillent sous les rayons doux du soleil après l'hiver.
Troisième vision : c'est une étrange forêt, inquiétante mais attirante, peinte par les cordes, la harpe et le vibraphone, dans une suite de douze accords sur lesquels le piano improvise. Ensuite, le basson, le piano puis les contrebasses lancent une ligne de basse rythmique presque rock, ponctuée par les percussions, et les bois redeviennent des oiseaux, inquiets cette fois de la menace qui plane sur cette forêt. Cela se termine avec un solo de piano frénétique sur ces harmonies de plus en plus tendues.
Quatrième vision : le thème principal est joué par la flûte et développé par tout l'orchestre, dans une courte mais douloureuse réminiscence du passé.
Cinquième vision : sur un rythme effréné à cinq temps, un ostinato de piano figure les feux d'artifice, les cloches et les lumières de la ville de la fin d'année. S'y ajoutent petit à petit les cordes, les cloches et les cors, avant que les vents ne lancent par-dessus des phrases héroïques. Plus tard, le piano improvise librement sur quatre accords avant de dialoguer avec le xylophone et la trompette, alors que tous les bois accompagnent avec deux motifs rythmiques entrelacés, jusqu'à un climax des cuivres et des percussions qui conclut cette course folle.
Sixième vision : le piano ré-expose seul le thème initial, avant un nouveau développement orchestral, dont l'harmonie sinueuse évoque une lutte interne entre résistance et acceptation.
Septième vision : la harpe coupe court à cet apaisement et réinstalle le mystère, ponctuée par le xylophone, les harmoniques des cordes, le motif du premier thème cité ici et là par les bois et les cuivres, et des flashes de percussions. Les couleurs et les rythmes s'entrechoquent dans un grand crescendo dans lequel il n'y a plus de tonalité, avant que le piano ne se rebelle et lance à toute vitesse la dernière partie : des phrases fiévreuses qui s'échappent de la masse et un groove sombre et obstiné, sur lequel gronde la colère de l'orchestre avant l'explosion finale.
Thomas Enhco, mars 2025